À son Excellence, M. Le Professeur Alpha Condé, Chef de l’État, Président de la République de Guinée

À Paris, le 17 Mars 2018
Monsieur le Président,

Comme une majorité de nos compatriotes, je constate avec une vive préoccupation les réactions meurtrières prêtées à nos forces de l’ordre dans plusieurs localisations en Guinée dans le cadre de leurs actions de maintien de l’ordre public. Ces agissements injustifiables qui ne correspondent d’ailleurs ni à l’éthique ni à la déontologie de cette grande profession de protection et d’assistance, s’observent et se déroulent de façon aveugle et particulièrement violente au niveau de la jeunesse de Conakry, sur l’axe Bambeto-Cosa.

Je me dois d’écrire cette lettre pour attirer votre particulière attention sur ce spectacle de la violence gratuite qui, bien que visible par tous, est déjà différemment apprécié selon la filiation politique ou ethnique de chacun. En effet, depuis l’éclatement des violences à la suite des élections communales du 4 février 201 8, la société civile a, par ma voix, exprimé à maintes reprises sa profonde consternation face à ces tueries, qui, à notre sens, ne relèvent plus de l’ordre de la bavure, et sont systématiquement ignorés ou classés sans suite et sans aucune forme de compassion de la part de l’Etat.
Ces meurtres à répétition accroissent irrémédiablement la fracture sociale dans notre pays, confirment le sentiment d’impunité de certains corps, et participent gravement et considérablement à la défiance grandissante de nos concitoyens à l’égard des institutions étatiques. Augmenter cette défiance compromet l’unité nationale et pourrait mettre à mal notre précieuse paix civile. Bien heureusement, et tout le monde en est conscient, il est urgent que ces violences doivent effectivement cesser.

Le peuple guinéen sait que les hommes et femmes sous drapeau n’agissent pas de leur propre initiative, qu’ils ne font qu’obéir aux ordres et c ‘est là où se trouve le vrai dilemme. Les guinéens savent aussi que la fonction originelle de ces forces n’est pas d’asservir le peuple, mais bien plutôt de le servir, en assurant sa sécurité ! Que la fonction de ces forces est de faire respecter la loi, et que la loi garantit le respect des droits et devoirs de chaque citoyen, sans distinction.

De ce fait, et dans l’état actuel des choses, j’en appelle à vous, Monsieur le Président, Premier Magistrat de la République, car seule votre noble et haute parole pourra désormais mettre immédiatement fin à ces agissements. Je suis convaincu qu’aucun être humain n’est naturellement apte à supporter la mort des siens. Celle-ci, en effet, lui inflige nécessairement une souffrance profonde. Mais que dire alors lorsque ces morts, pourtant évitables, donnent aux proches des victimes et à leurs concitoyens l’impression d’être préméditées ?
Assurément, la blessure n’en est que plus vive, et la rancœur et l’esprit, voire l’envie,de vengeance n’en seront, malheureusement, que plus décuplés.
-Je considère que la première disposition à prendre aujourd’hui, outre l’appel à la paix, serait d’appliquer systématiquement l’interdiction du recours aux armes à feu par les forces de l’ordre. Nous recommandons l’utilisation d’armes non létales, c’est-à-dire des armes conçues pour que la cible ne soit pas tuée ou blessée lourdement.
-La deuxième disposition à prendre serait de renouveler constamment les équipes qui interviennent dans les zones à risques, et de renforcer leurs formations sur la réaction responsable à avoir face aux provocations extérieures. Il faudrait également, en plus des missions de suivi et de contrôle confiées aux inspections générales de la Police et de la Gendarmerie, mettre l’accent sur les actions préventives, afin de précisément éviter l’éclatement de violence.
-Enfin, j’estime qu’aucune restauration de confiance, aussi bien entre les citoyens qu’entre les citoyens et l’État, ne peut avoir lieu sans la Justice, d’où la grande importance à accorder à la présence, l’efficacité, et l’impartialité de cette institution régalienne de notre État.

Nous sommes aujourd’hui à près de 100 morts signalés, et la responsabilité de l’Etat à travers les forces de l’ordre est mise en cause. Voilà autant d’éléments qui aggravent le repli identitaire, et ternissent l’image de notre pays sur le plan international. En tant que chef d’Etat, et en tant que garant de la Constitution, il vous incombe à vous, et à vous en tout premier lieu, de mettre fin à ces agissements, car c’est le vivre et grandir ensemble dans notre beau pays qui est en jeu.

En gardant l’espoir que vous saurez mettre à contribution toutes les initiatives et personnes de bonne volonté pour le rétablissement de l’ordre, la sécurité pour tous et la consolidation de la paix dans notre pays, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, ma considération fraternelle et distinguée.

Dr Sékou Koureissy Condé