Le siège du groupe Bolloré Africa Logistics en France a été perquisitionné vendredi 8 avril par les policiers de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCLIFF). Le groupe du milliardaire breton est soupçonné d'avoir utilisé sa filiale publicitaire Havas pour faciliter l'obtention de la gestion des ports de Conakry en Guinée et de Lomé au Togo.
Le groupe Bolloré Africa Logistics est incontournable sur le continent. Bolloré est présent dans une quarantaine de pays africains. Il contrôle la manutention, seul ou en partenariat avec d'autres sociétés, de 14 ports en Afrique ainsi que 23 ports secs. Parfois, Bolloré Africa Logistics contrôle également le réseau ferroviaire et routier. Dernier chantier pharaonique du français : la réhabilitation du chemin de fer entre Abidjan et Ouagadougou. Près de 1 300 kilomètres de rail pour un chantier à 2,5 millions d'euros. Dans certaines régions d'Afrique, on peut même parler d'omniprésence de Bolloré qui jouit par exemple d'un quasi-monopole sur les ports du golfe de Guinée.
Doute sur l’attribution de concessions
Les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption soupçonnent le groupe Bolloré d'avoir utilisé Havas, son bras publicitaire, pour obtenir des concessions. Deux ports sont pointés du doigt : Conakry et Lomé. En Guinée, Havas s'est occupé en 2010 de la campagne électorale d'Alpha Condé. En 2011, le président fraîchement élu débarquait Getma, la compagnie qui gérait le port depuis 2008 pour confier la concession à Bolloré.
Même scénario au Togo. En 2010, le groupe Bolloré obtient la concession du terminal à conteneurs du port de Lomé pour 35 ans. La même année, Faure Gnassingbé, conseillé par Havas, était réélu.
Les concessions de Bolloré font régulièrement couler de l'encre. La dernière en date est celle du deuxième terminal à conteneurs du port d'Abidjan. Le groupe français détient déjà le premier terminal depuis 2004, et donc au final, un monopole complet sur le port de la capitale économique ivoirienne.
Un enjeu de pouvoir économique et politique
Bolloré est présent en Afrique dans les activités logistiques depuis les années 1980. Mais c'est dans les années 1990, quand la Banque mondiale et le FMI incitent les pays africains à privatiser les concessions portuaires, qu'il se taille la part du lion. Le secret de la réussite du groupe, selon Olivier de Noray, directeur des ports et terminaux chez Bolloré Africa Logistics : une stratégie entièrement centrée sur l'Afrique.
92 % des importations et exportations d'Afrique se font par voie maritime. Contrôler les ports, c'est donc contrôler le commerce africain. En outre, ils représentent un véritable poumon économique pour l'hinterland, les pays sans accès à la mer qui dépendent de ces entrées maritimes pour leurs approvisionnements. On imagine le pouvoir économique du groupe Bolloré quand on sait qu'il gère le port d'Abidjan et le chemin de fer jusqu'à Ouagadougou. D'autre part, les ports sont source de devises, non seulement pour les Etats mais aussi pour le groupe qui dispose ainsi de liquidités qu'il peut investir dans le développement de ses autres activités.
Un potentiel de croissance
Le potentiel de croissance du commerce maritime africain est énorme avec l'entrée notamment de nouveaux acteurs comme la Chine, l'Inde ou encore le Brésil. Au cours de la dernière décennie, les volumes échangés entre l'Asie et l'Afrique ont été multipliés par dix. Ceux entre l'Afrique et le Brésil par cinq.
Entre-temps, le groupe Bolloré a diversifié ses activités sur le continent. Outre le rail, Bolloré assure aussi la logistique pour des groupes pétroliers comme Total en Angola. Le groupe possède également des plantations d'hévéa et de palmiers à huile, à travers sa filiale Socfin présente au Cameroun, en Côte d'Ivoire, au Ghana, au Libéria ou encore en RDC.
Et puis il y a le bras médiatique avec l'agence de communication Havas. Depuis la fin de l'année dernière, Bolloré a mis la main sur le groupe français Canal+, présent dans 40 pays d'Afrique avec plus de deux millions d'abonnés.
■ Quelles réactions au Togo et en Guinée?
Aucune déclaration officielle n'a été émise des autorités togolaises. Le ministre des Infrastructures et des Transports, absent du territoire, n'a pu répondre à RFI. Mais les officiels qui connaissent le dossier en rigolent, et précisent : « Bolloré est rentré dans ses droits au port autonome de Lomé, après une rude bataille judiciaire, l'Etat ne s'en est aucun moment mêlé. »
C'est l'histoire d'un combat acharné entre employeur et collaborateur. D'une part, le groupe Bolloré, qui a la concession de la manutention au port autonome de Lomé depuis 2001 à travers ses sociétés, et de d'autre part, Jacques Dupuydauby, président du conseil d'administration de ces sociétés, mensuellement rémunéré par Bolloré dans le cadre d'un contrat de prestations de service.
Dès 2005, le contrat a tourné en un contentieux qui oppose le groupe Bolloré et Jacques Dupuydauby.
Bolloré saisit la justice, s'engage alors une longue procédure judicaire. En 2009, la justice togolaise lance un mandat d'arrêt contre Jacques Dupuydauby, qui voyant l'étau se serrer sur lui, celui-ci jeta documents et unités centrales en mer selon un communiqué officiel de l'époque, avant de prendre la fuite.
Le mandat d'arrêt est toujours est vigueur aujourd'hui. Vincent Bolloré, rétabli dans ses droits, continue ses investissements au port autonome de Lomé.
En Guinée, la société civile
Dans la capitale guinéenne, on suit l'affaire avec grand intérêt, sans se dire vraiment surpris, car les conditions qui avaient entouré l'obtention du contrat, au lendemain de l'élection du président Alpha Condé, avaient suscité beaucoup d'interrogations. Akoumba Diallo, membre de la société civile, travaille sur les questions de bonne gouvernance.
RFI