C’était il y a six ans. Le 28 septembre 2009, des militaires, sans doute ivres d’un pouvoir confisqué trop longtemps, ont ouvert le feu sur une foule de manifestants pacifiques réunis au stade de Conakry. Ils ont tué 157 personnes. Au cœur de la capitale guinéenne, ils ont aussi blessé et violé une centaine de femmes, dont certaines ont été emmenées de force et réduites à l’esclavage sexuel pendant plusieurs semaines.

Mon fils, Mohamed Ali Conte, professeur d’histoire, était parmi ceux qui avaient choisi de sortir dans la rue pour rappeler à un homme, le capitaine Moussa Dadis Camara, sa promesse de ne pas se présenter à l’élection présidentielle, une élection attendue par l’ensemble de la population après cinquante ans de dictature.

Le 2 octobre 2009, son corps nous a été remis parmi plusieurs dizaines d’autres, un sac en plastique autour du coup dissimulant mal l’impact de la balle qui l’avait frappé. Très vite, pourtant, mes pensées sont allées vers tous ceux qui n’ont jamais été retrouvés, probablement enfouis à la hâte dans quelque terrain vague ou camp militaire de la capitale, pour tenterd’amoindrir un bilan terrifiant.

Quatorze inculpés

Depuis, le combat pour la vérité et la justice est devenu le quotidien partagé des victimes, des avocats et des associations engagées à leurs côtés. Avec le soutien de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme (OGDH), nous avons accompagné quatre cents victimes devant les trois juges d’instruction chargés d’établir les faits. Ensemble, nous avons pu rassembleret transmettre de très nombreux témoignages et informations qui devrontpermettre à la justice de remplir sa mission.

Si l’instruction a longtemps été laborieuse, l’impulsion du nouveau ministre de la justice, Cheick Sako, a permis des progrès importants et quatorze personnes sont désormais inculpées, dont l’ancien chef de l’Etat putschiste Moussa Dadis Camara, aujourd’hui au Burkina Faso dans un exil qui ne dit pas son nom.

Officier subalterne, celui-ci avait réussi, à la mort de Lansana Conté en 2008, à passer en quelques heures du ravitaillement en essence de l’armée à la tête d’une junte militaire hétéroclite, dont le massacre du 28 septembre 2009 restera le principal fait d’armes. Alors que l’étau judiciaire s’est considérablement resserré au cours des derniers mois, Moussa Dadis Camara a annoncé dans un même élan son retour en Guinéeet sa candidature à l’élection présidentielle du 11 octobre.

L’un comme l’autre ont été contrariés, en dépit d’une alliance scabreuse avec un parti politique dont les militants avaient pourtant payé un lourd tribut au stade de Conakry. Moussa Dadis Camara semble donc avoir abattu sa dernière carte, en laquelle il comptait pour négocier son impunité.

Présidentielle en octobre

ses côtés parmi les personnes inculpées figurent de hauts responsables militaires, comme le général Mamadouba Toto Camara, ancien numéro deux de la junte, ou le lieutenant-colonel Claude Pivi, chef de la sécurité présidentielle, mais aussi plusieurs soldats du rang, de sorte qu’un procès apparaît aujourd’hui envisageable à brève échéance. Un procès dont la portée symbolique excédera largement le seul 28 septembre 2009, dans un pays où l’armée a longtemps été l’instrument de la violence politique, et la violation des droits humains un mode de gouvernance, des crimes commis au camp Boiro à la sanglante répression du mouvement de janvier et février 2007.

Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale où la Guinée fait l’objet d’un examen préliminaire depuis 2009, nous confiait lors de sa dernière visite en Guinée son impatience de voir la procédure aboutir à Conakry. « La Guinée peut être un exemple pour l’Afrique et pour le monde. Elle doit montrer que la lutte contre l’impunité est avant tout une affaire nationale, et que les Etats africains peuvent juger par eux-mêmes les responsables des crimes les plus graves, y compris quand ils ont occupé les fonctions les plus hautes. Dans le cas contraire, la Cour pénale internationale devra s’en charger », déclarait-elle.

Le procès en cours d’Hissène Habré au Sénégal a montré la voie et la Guinée, en organisant par elle-même un procès satisfaisant aux exigences internationales d’équité et d’impartialité, a l’occasion de faire un pas de plus dans cette direction : le temps où l’Afrique juge elle-même ses bourreaux.

D’ici là, la Guinée devra passer l’étape du scrutin présidentiel qui s’ouvrira le 11 octobre et que toute la société civile espère apaisé, malgré les tensions qui n’ont pas manqué d’accompagner le processus électoral. Au-delà de l’élection du président de la République, l’enjeu du scrutin réside dans la consolidation des acquis démocratiques et le renforcement d’un Etat de droit encore à construire. Le nouveau gouvernement devra faire de la justice sa priorité, tant pour les victimes en attente de justice que pour légitimer une institution longtemps malmenée.

« Quand une chèvre est présente, nul ne peut bêler à sa place », dit un proverbe guinéen. Les autorités nationales devront s’en inspirer et garantir que Moussa Dadis Camara, tout comme son aide de camp Toumba Diakité, introuvable bien que visé par un mandat d’arrêt international depuis cinq ans, soient jugés en Guinée aux côtés de l’ensemble des personnes mises en cause. C’est le moins qui puisse être fait pour nous, les victimes de ces crimes, et ce n’est que par la justice et la fin de l’impunité que l’Etat guinéen pourra s’assurer de la stabilité et de la paix sociale qui lui ont tant fait défaut par le passé.

Avec le Monde

 

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