Le champion de boxe d’origine guinéenne Béa Diallo est aujourd’hui élu au Parlement belge et échevin d’Ixelles. Portrait.
Il est loin de Monrovia, ce café d’Ixelles (Belgique), où le député Lansana Béa Diallo commande un poisson bouilli des plus diététiques, ne touchant ni aux frites ni à la mayonnaise. Du Liberia, où il est né en 1971, celui qui fut aussi champion de boxe et chef d’entreprise se souvient "des belles villas, des jardins luxuriants", ne faisant pas mystère de son enfance favorisée de fils de diplomate. Il doit d’ailleurs son nom à la visite, le jour de sa naissance, du ministre guinéen de l’Économie, Lansana Béavogui, futur Premier ministre et président par intérim…
Son propre pays, Béa Diallo le retrouve entre 1976 et 1977 : il ne garde aucun souvenir de ce moment. En revanche, l’arrivée à Paris où son père est nommé premier conseiller de l’ambassade l’année suivante lui laisse un goût amer. "Terrible. Tu quittes l’Afrique où tu croises de temps en temps des Blancs pour Paris où tu croises de temps en temps des Noirs…" dit-il. Le plus dur sera d’apprendre la langue. Quant à sa couleur de peau, Diallo en prend très tôt politiquement conscience. "Dès le début des années 1980, j’étais un gamin très engagé. En pleine montée du Front national, les mouvements de lutte contre le racisme se développaient, et je suivais mes frères." Présent dans les manifestations où il vend des badges SOS Racisme, l’adolescent turbulent fait aussi le coup de poing. "Lors d’un grand concert au Trocadéro, un ami a été gravement blessé, se souvient-il. Je suis devenu ultraviolent." Rebelle, il réagit au moindre regard. "C’était une provocation : on me regardait parce que j’étais noir !" Paradoxalement, cette violence qui lui vaut d’être renvoyé de l’école se veut justicière. Avec sa bande, ils dévalisent le Prisunic pour donner à manger aux sans-domicile-fixe. Résultat : un passage au commissariat, une raclée et un article de presse qui parle de "Robin des Bois des temps modernes".
La spirale de violence aurait pu mal finir. Sans doute est-il sauvé par une force de caractère qui l’empêche de tomber dans la drogue et par un déménagement à Bruxelles, où son père est muté en 1985. Tout ne s’améliore pas du jour au lendemain, mais avec la bande black-blanc-beur de "justiciers" qu’il monte à Bruxelles, Béa Diallo se rend un jour dans une salle de boxe "socialement et racialement mixte". "On avait l’habitude de se battre dans la rue, mais on a pris une vraie rouste, se souvient-il. Je suis le seul à être resté. Je me suis entraîné, entraîné, entraîné. Je n’acceptais pas la défaite, je voulais me venger à la loyale." Un événement parachève la métamorphose : le jour où il casse la figure d’un voleur (blanc), c’est lui que l’on menotte, avant que les témoignages en sa faveur le sauvent… "Convaincu que le Noir aurait toujours tort, j’ai beaucoup réfléchi… J’ai lu Martin Luther King Jr et Gandhi. Désormais, je voulais être le meilleur, sans violence."
La boxe, c’est "son moteur et son sauveur", ce qui lui permet de réussir ses études, d’exprimer sa rage en douceur. "Je ne cherche pas le KO, cela me fait peur. Comme l’escrime, la boxe est pour moi un art du toucher…" En 1988, il devient champion de Belgique novice et passe professionnel deux ans plus tard – pour remporter le championnat professionnel. Il est aussi diplômé en sciences économiques de l’Université libre de Bruxelles et lance, avec les économies de petits boulots accumulés, une florissante entreprise de sécurité.
C’est dans le stade du 28-Septembre, à Conakry, qu’il connaît sa plus forte émotion en battant Rob Bleakley et en faisant tomber la pluie, comme les marabouts l’avaient prévu.
À l’entendre, sa carrière de boxeur ne culmine pas avec la conquête du titre de champion intercontinental des poids moyens en 1998, à la fin duquel il lève les drapeaux belge et guinéen. Non, c’est plutôt dans le stade du 28-Septembre, à Conakry, qu’il connaît sa plus forte émotion en battant Rob Bleakley et en faisant tomber la pluie, comme les marabouts l’avaient prévu.
Son pays d’origine, redécouvert peu à peu, a alors toute son attention : il s’y implique en investisseur (conserverie, transport, club de foot…), se heurtant de plein fouet au problème de la corruption. La politique ? Il y viendra peut-être comme il y est venu en Belgique. Ses divers engagements, comme celui pour la défense des femmes battues, lui ont valu d’être contacté par le Parti socialiste. Élu à la chambre des députés de la région de Bruxelles-Capitale en 2004, réélu en 2009, candidat à sa succession en 2014, il a remporté son mandat local d’Ixelles en 2006. En Guinée, il s’est impliqué quand Moussa Dadis Camara a été blessé : "J’ai proposé un gouvernement d’union nationale, mais ils m’ont envoyé à la mer car ils voulaient tous être présidents. La démocratie, pourtant, ce n’est pas une question d’ethnie ou de personne, c’est une façon de vivre." Ce père de quatre enfants aurait-il des ambitions pour son Mouvement pour une Guinée nouvelle ? En tout cas, il cogne déjà comme un politique sur le président, "qui fait pire que ses prédécesseurs", comme sur son principal opposant, "qui a été Premier ministre par le passé, non ?" Et il ne chercherait pas le KO ?
Jeuneafrique

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