L’Afrique du Sud communiait vendredi dans le souvenir de l’ancien président Nelson Mandela décédé il y a un an, prières, incantations aux ancêtres, discours se succédant dans une longue journée d’hommage, tandis que la parole critique commence aussi à se libérer.
Il y a un an jour pour jour, la nation "arc-en-ciel" perdait sa figure tutélaire, "Madiba" comme l’appellent affectueusement les Sud-Africains par son nom de clan, mort à 95 ans et révéré pour son oeuvre de réconciliation nationale après les années d’apartheid.
"Nous avons eu vingt ans de démocratie grâce à Mandela (. . . )", a déclaré un chef Khoïsan (bushman) Ron Martin, descendant des premiers habitants de l’Afrique du Sud et choisi symboliquement pour ouvrir les cérémonies officielles.
"Tout sentiment de fierté était brimé sous l’apartheid, mais nous récupérons notre héritage aujourd’hui", s’est réjoui ce chef traditionnel.
– ‘Il me manque’ –
Brûlant des herbes dans la longue spirale d’une corne de koudou, il a remercié Mandela, avant des prières chrétienne, hindoue, musulmane, juive et même rastafari.
"Il me manque", a commenté d’une voix tremblante Ahmed Kathrada, compagnon de détention de Mandela: "il me manque non seulement comme leader politique, mais également comme un frère aîné".
Graça Machel, la veuve du prix Nobel de la paix, a ensuite pris la parole au siège du gouvernement où la cérémonie s’était déplacée, vêtue de noire, une étole jaune d’or à l’épaule.
"Je sais que Madiba est en bonne compagnie (. . . ), cette pensée m’a soutenue tout au long de cette année", a-t-elle dit, égrenant la liste des compagnons de lutte de Mandela qui n’ont pas été élevés à la dignité de prix Nobel de la paix en 1993 comme lui, mais convoqués pour mémoire pour rappeler que la lutte anti-apartheid a été collective.
"J’ai eu ce privilège singulier d’être l’épaule sur laquelle il a pu s’appuyer au crépuscule de sa vie, et je serai éternellement reconnaissante qu’il m’ait choisie pour être celle-là", a ajouté Graça, 69 ans.
Absent de marque, le président Jacob Zuma qui avait présidé l’an dernier aux dix jours de deuil national, essuyant des huées durant la cérémonie d’hommage, était en déplacement à Pékin pour un forum d’hommes d’affaires Chine-Afrique du Sud.
L’archevêque Desmond Tutu, très critique envers M. Zuma, a lancé un appel à ses compatriotes: "notre obligation envers Madiba est de continuer à construire la société qu’il imaginait (. . . ). Une société basée sur les droits de l’Homme, dans laquelle tous peuvent profiter de l’abondance que Dieu a conférée à notre pays. Dans laquelle tous peuvent vivre dignement, ensemble".
Toute l’Afrique du Sud était ensuite appelée à observer trois minutes et sept secondes de bruit, pendant lesquelles les cloches des églises ont sonné, puis trois minutes de silence, symbolisant les 67 ans d’action politique de Mandela, dont 27 incarcéré au bagne.
– ‘Fou de Mandela?’ –
De nombreuses manifestations et initiatives locales sont prévues ce week-end et dans la semaine un peu partout dans le pays. Des artistes monteront sur scène à la Fondation Nelson Mandela. Une marche du souvenir de cinq kilomètres aura lieu le 13 décembre dans les rues de Pretoria, et passera devant le siège du gouvernement.
A Johannesburg, devant la maison d’Houghton où il s’est éteint entouré des siens dans la soirée du 5 décembre 2013, une poignée de militants d’opposition Alliance Démocratique ont été rejoints par des anonymes et des touristes australiens et américains débarqués de leurs mini-bus, pour une prière improvisée, main dans la main.
Cet unanimisme qui n’a rien de façade et qui fait augmenter la fréquentation des musées dédiés à Mandela depuis sa mort, et sa maison de Soweto, laisse cependant entrevoir des craquements.
"Faut-il être fou de Mandela?", interrogeait cette semaine une éditorialiste connue Sisonke Msimang, dans le quotidien en ligne Daily Maverick.
"Mandela a fait ce dont nous avions besoin au début des années 1990. Aujourd’hui nous avons clairement besoin d’une nouvelle voie (. . . ). L’une des leçons les plus douloureuses de ces deux dernières décennies est de s’apercevoir que bien que la pauvreté reste largement le lot des Noirs, beaucoup de Sud-Africains blancs ne pensent pas forcément que c’est la conséquence de l’apartheid", a-t-elle dit.