Avec son troisième album, Sia Tolno revêt sa tenue de combat et dénonce sur un afrobeat endiablé le machisme ambiant et les maux qui gangrènent le continent.
Ne cherchez pas à mettre la Guinéenne Sia Tolno dans une case, elle déjouera tous vos pronostics ! Après avoir visité les musiques mandingues et la soul, elle s’attaque avec son troisième album, African Woman, à l’afrobeat, une incursion rare pour une chanteuse africaine. Elle livre ici une ode aux femmes africaines, bien éloignée de ce que pouvait chanter Fela Anikulapo Kuti en 1972 sur le tube panafricain "Lady".
Il y fustigeait en effet les effets néfastes de l’occidentalisation sur les Africaines. Il pensait que le féminisme alors en vigueur allait irrémédiablement les corrompre. "African woman, no go agree…", entonnait-il vigoureusement en pidgin. Quarante-deux ans plus tard, Sia Tolno prend le machiste Fela à contre-pied et prône un féminisme panafricain. Elle fait pourtant ici appel à Tony Allen, batteur légendaire, chef d’orchestre de l’Africa 70 et créateur patenté de l’afrobeat.
Et elle réussit le tour de force de livrer un album fort convaincant. "L’afrobeat est une musique d’expression des colères qui est la hauteur de ce que je veux dire", commente-t-elle sobrement par rapport à cette nouvelle direction musicale.
D’ethnie kissie, Sia Tolno est originaire de Guéckédou, dans le sud de la Guinée, une région berceau de l’une des plus grandes formations du pays, le redoutable Kebendo Jazz. La jeune fille a grandi au son de ces orchestres locaux exégètes de la politique d’authenticité culturelle de Sékou Touré, mais aussi du bruit et de la fureur des conflits qui animent cette région frontalière de la Sierra Leone (où elle a passé une partie de son enfance) et du Liberia, au cours d’une dizaine d’années de guerres, de trafics et de massacres en tous genres.
Comment faire si l’on ne sait pas si l’on sera encore vivant à la fin de la journée ? La guerre a brisé mes rêves !, dit-elle.
Des événements qui marqueront toute une génération dont elle fait partie. Bien peu ont pu exorciser ces démons du passé. Elle le reconnaît sans ambages : "La vérité n’est pas dans la guerre, on ouvre les portes de lieux obscurs, c’est comme une maladie, l’esprit se rétrécit. Comment faire si l’on ne sait pas si l’on sera encore vivant à la fin de la journée ? La guerre a brisé mes rêves !"
Elle dénonce le machisme, le manque d’éducation et l’excision
Ce n’est qu’arrivée à Conakry au milieu des années 1990 que Sia Tolno commence à chanter dans différents "maquis", se frottant à de nombreux répertoires, traditionnels et occidentaux. Elle est finalement remarquée par Pierre Akendengue et José Da Silva lors de la première édition d’Africa Star en 2008, à Libreville. Deux albums, Eh Sanga en 2009 et My Life en 2011, imposent enfin sa voix sur la scène internationale. Elle y visite les traditions musicales guinéennes tout en flirtant avec la soul qu’elle chantait déjà il y a quinze ans dans les clubs de Conakry.
Ce troisième opus est une variation sur des rythmes déjà entraperçus sur l’album précédent. Des sonorités plus noires, plus profondes plongent ici dans un torrent d’émotions canalisées par la batterie impériale de Tony Allen. Ce disque se veut avant tout une reconnaissance de la cause des femmes africaines, l’afrobeat renforçant ici son propos choc. "Je veux rendre hommage aux femmes africaines avec ce disque. Je m’adresse aux femmes pour qu’elles ne tolèrent plus les maris humiliants et qu’elles respectent enfin leurs valeurs."
Sia Tolno dénonce ici pêle-mêle et avec une verve rare le machisme ambiant, le manque d’éducation et l’excision. Elle parle tout simplement des Africaines et de leur condition, dans un vortex afrobeat où beauté, dignité et espoir se confondent.
JA

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