L’ONU empêchera un génocide au Soudan du Sud, un pays "au bord de la catastrophe", ont averti mercredi à Juba des responsables des Nations Unies, avertissant les dirigeants des deux camps qui s’affrontent qu’ils seraient tenus responsables des massacres et de la famine qui menace.
"Le mélange mortel de griefs mutuels, d’appels à la haine et de tueries de représailles (…) semble prêt à entrer en ébullition et (…) ni les dirigeants sud-soudanais ni la communauté internationale ne semblent réaliser à quel point la situation est désormais dangereuse", a déclaré la Haut Commissaire de l’ONU au droits de l’Homme, Navi Pillay.
Les combats qui opposent depuis la mi-décembre l’armée fidèle au président Salva Kiir aux troupes loyales à son ancien vice-président Riek Machar se sont accompagnés de massacres et d’exactions contre les civils sur des bases ethniques. A la rivalité entre MM. Kiir et Machar, se greffent de vieux antagonismes entre Dinka et Nuer, les deux principales communautés du pays dont ils sont respectivement issus.
De récents massacres de civils à Bentiu (nord-est) et Bor (est) ont "mis en évidence combien le Soudan du Sud est proche du désastre", a insisté Mme Pillay, à l’issue d’une visite de deux jours dans le plus jeune pays du monde, indépendant depuis juillet 2011.
Des "appels à la haine" et des tueries "sur des bases ethniques" laissent craindre que "ce conflit dérape dans une violence grave qui échappe à tout contrôle", a de son côté estimé le Conseiller spécial de l’ONU pour la prévention du génocide, Adama Dieng, qui accompagnait Mme Pillay.
Photo du 29 avril 2014 délivrée par la Mission des Nation unies au Sud Soudan (Unmiss) de la Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme Navi Pillay (d) et du conseiller spécial pour la prévention des génocides, Adama Dieng (g) au Sud Soudan. © Isaac Alebe Avoro
Les leçons de l’histoire
Il a assuré que l’ONU prendrait "toutes les mesures possibles" pour "protéger les populations (sud-soudanaises) d’un autre Rwanda", en référence au génocide qui y fit quelque 800.000 morts en 1994, essentiellement dans la minorité tutsi, et que l’ONU fut incapable d’empêcher.
"Le président (…) et Riek Machar (…) doivent prendre leurs responsabilités" pour empêcher des exactions et "nous devons nous assurer que les responsables des crimes commis ici en répondent", a-t-il dit.
"L’actuelle culture de l’impunité ne peut que miner nos efforts. Nous avons appris cela à nos dépens (…) notamment du génocide perpétré il y a 20 ans au Rwanda", a-t-il souligné.
Des enquêtes vont déterminer "ce que les chefs politiques et militaires savaient, auraient dû savoir, ou s’ils se sont abstenus de prendre des mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher des crimes de guerre ou contre l’humanité", a rappelé Mme Pillay.
La Haut-commissaire, qui a rencontré MM. Kiir et Machar, a dénoncé leur apparente indifférence aux souffrances de leurs concitoyens, dont plus d’un million ont été chassés de chez eux, mais aussi la "lenteur à agir" de la communauté internationale.
L’appel à une trêve en mai, lancé mardi par le responsable des opérations humanitaires de l’ONU pour éviter une famine qui menace un million de personnes a reçu "un accueil tiède" de MM. Kiir et Machar, a également indiqué Mme Pillay.
"J’ai été atterrée par l’apparente indifférence affichée par les deux dirigeants concernant le risque de famine", a-t-elle expliqué.
"La perspective d’infliger faim et malnutrition à grande échelle à des centaines de milliers de leurs concitoyens, en raison de leur incapacité personnelle à résoudre leurs différends pacifiquement, n’a pas semblé les toucher beaucoup", a-t-elle ajouté.
La pression de John Kerry
Elle a par ailleurs ajouté que "plus de 9.000 enfants ont été recrutés au sein des forces armées des deux camps" – des faits constitutifs de crimes de guerre – et dénoncé les attaques contre des centres de soins, les viols et enlèvements de femmes et filles, ainsi que le meurtre d’enfants lors de massacres de civils commis tant par l’armée que par les forces pro-Machar.
"Jusqu’où cela doit-il encore empirer avant que ceux qui peuvent mettre fin à ce conflit, particulièrement le président Kiir et M. Machar, décident de le faire?", a interrogé Mme Pillay.
Des négociations à Addis Abeba ont accouché d’un cessez-le-feu mi-janvier, qui n’a jamais été respecté. Une deuxième phase, entamée mi-février et deux fois suspendue faute d’avancées, a repris lundi autour de points de procédure.
Le secrétaire d’Etat américain John Kerry est arrivé mercredi soir à Addis Abeba dans le cadre d’une tournée africaine où le Soudan du Sud aura la priorité. Il devrait accentuer la pression sur les dirigeants des deux camps belligérants, les Etats-Unis étant les parrains de l’indépendance Soudan du Sud et principal soutien du jeune Etat.
JA